II existe de nombreux ouvrages et des sites sur les réseaux d'évasion et de figures célèbres de la Résistance dans le Couserans, cependant nous avons choisi de présenter ici des informations inédites sur des personnes, des personnages qui ont oeuvré plus ou moins discrètement dans la Résistance à l'ennemi.
- place au portrait de Jean Galy et de Jean-Marie Claustre.
- le réseau WIWI, réseau de renseignements dans la vallée du Salat fait l'objet d'une rubrique à part sur le site.
Jean Galy un ariégeois engagé
par Violette Marcos
La personnalité et les activités de ce Toulousain nous ont paru tellement intéressantes que nous avons décidé de lui consacrer une rubrique particulière
Jean Galy (Lirbat, Ariège, 1892-idem 1962)
Parmi les compagnons d’Alphonse Tricheux Jean Galy tient une place particulière car ce fut un personnage original.Voilà quelqu’un qui a peu voyagé mais dont les centres d’intérêt lui ont fait découvrir des horizons multiples et paradoxaux.
Comme beaucoup de Toulousains avant 1914 il est Ariégeois d’origine et il restera toute sa vie attaché à cette région. Après la guerre, il s’installe à Toulouse. Si sa vie professionnelle et politique se déroule dans « la grande ville », il garde cependant une petite maison aux pieds des Pyrénées où il passe en famille toutes ses vacances. Et c’est là qu’il sera enterré à
soixante-dix ans.
On a peu de certitudes quant à la profession de ses parents : sont-ils agriculteurs, ouvriers. Sur ce point les sources divergent (1). Dans tous les cas, il s’agit d’une vieille famille ariégeoise, peu fortunée. Après avoir fréquenté l’école primaire de son village, il obtient une bourse qui lui permet de continuer ses études. Fort du brevet supérieur, il devient instituteur de l’école publique. Belle promotion mais qui va prendre fin avec la guerre.
Il a 22 ans lorsqu’éclate le premier conflit mondial et il est immédiatement mobilisé. Il passe alors quatorze mois au front. Et c’est au bout de cette période, dont on imagine sans mal les difficultés et les horreurs, que sa vie bascule.
Au début de l’année 1916, il déserte. À défaut de document précis, nous ignorons les raisons de son acte mais, comme il n’est pas le seul déserteur, on peut avancer quelques éléments d’explication : lassitude devant l’horreur, conditions de vie épouvantables, refus des ordres inutiles et imbéciles, antimilitarisme, etc. ; la diversité des motivations est aujourd’hui bien connue et on peut faire l’hypothèse que Jean Galy, avant de prendre sa décision, s’est posé de multiples questions.
Il déserte donc et le voilà sur les nombreux petits sentiers pyrénéens qu’il connaît bien depuis son enfance et qui le conduisent en Espagne.
Comme la Suisse ou la Suède, ce pays est neutre pendant la Première Guerre mondiale. Elle est un refuge pour ceux qui fuient les combats et les gendarmes. Le soldat Vincent Molia est devenu l’emblème, en France, de cette démarche. Condamné à mort en juin 1917 pour mutinerie par un conseil de guerre, il fait le même parcours que Jean Galy. D’origine
paysanne comme lui, mais landais, il se réfugie en Espagne où il restera jusqu’à 1936 (2).
L’analogie entre les deux personnages s’arrête là car Jean Galy ne séjourne que deux ans à Barcelone. Les rencontres qu’il y fait sont cependant décisives pour lui. Depuis longtemps l’Espagne sert de base de repli pour les anarchistes recherchés en France. Fanatiques de la « propagande par le fait », antimilitaristes ou pédagogues libertaires, inscrits au livret B, tous ces exclus y ont trouvé, à un moment ou à un autre, une terre d’accueil. La
guerre de 1914-1918 alimente considérablement ce vivier. Parmi les exilés, Jean Galy fait la connaissance de Gaston Leval (3), insoumis en février 1915 car il n’a pas répondu à l’ordre de mobilisation ; à son arrivée en Espagne, il intègre la CNT dont il devient un membre actif. Si on en croit ses mémoires, il est déjà, pendant la période de guerre, un militant anarchiste convaincu. Est-ce lui qui « forme » Jean Galy » ou bien le
conforte-t-il dans des opinions qu’il avait déjà et qui l’ont conduit à la désertion ?
Quoi qu’il en soit, la vie de l’Ariégeois prend un autre cours dès ce moment-là. À son retour en France, il est arrêté et condamné à deux ans de prison. En 1920, à sa sortie de prison, sa vie a changé. Ancien déserteur, il ne peut réintégrer l’enseignement public et la vie en Ariège devient difficile. Il « monte » alors à la capitale. Pas de confusion, il s’agit de
Toulouse. Logé en centre-ville, rue Alsace, l’ancien « hussard de la République » devient un intellectuel libertaire. Sous les pseudonymes de Lyg ou de Fajou, il collabore aux journaux anarchistes notamment Le Libertaire, mais surtout à la revue de Louis Lecoin Défense de l’Homme à
laquelle il participera jusqu’à sa mort. Il publie aussi des brochures anarchistes (4), mais c’est surtout l’antimilitarisme qui lui tient à cœur. Dès 1933, il donne des conférences à Toulouse et en Ariège sur ce thème et sur l’objection de conscience. Cet aspect propagandiste semble lui
tenir vraiment à cœur car il est, dit-il : « peu enthousiaste à parler à des convaincus… et promet de donner son concours chaque fois qu’il serait demandé pour une réunion publique »
(5).
Dans le cadre de ses activités militantes, il côtoie Alphonse Tricheux et participe aux différents groupes libertaires toulousains notamment au groupe d’Études sociales rebaptisé en 1925 Bien-être et Liberté. Après la Seconde Guerre mondiale, malgré son âge avancé, il continue à fréquenter le groupe d’Études sociales où il retrouve René Clavé, Vincent, M., Turmau, J.-C. Bruno, Marc Prévôtel (6). En 1955, il dénonce dans La Dépêche l’injustice sociale et s’élève contre l’existence de la bombe atomique. Parallèlement à cette vie militante, de 1922 à 1962, son activité professionnelle est singulière pour un anarchiste.
Pour survivre, il donne tout d’abord des cours particuliers ; en 1924, par exemple, il est sollicité pour apprendre le français à un étudiant chinois, Tchang, qui fréquente les milieux
libertaires. Par la suite, sa situation se stabilise et, pendant presque quarante ans, il est « professeur libre » c’est-à-dire qu’il travaille dans l’enseignement confessionnel au lycée Sainte-Marie de Nevers situé en centre-ville et fréquenté par la bonne bourgeoisie catholique de Toulouse. C’est un professeur polyvalent car il enseigne le français, l’histoire, la
géographie, les mathématiques et les sciences physiques. Chassé de l’enseignement public, c’est là qu’il a trouvé un emploi fixe. Le choix pourrait être purement alimentaire. Il n’en est rien.
Cette activité dans l’école privée n’a pas que des visées lucratives car Jean Galy s’investit réellement dans l’institution. La preuve en est que, quelque temps avant sa mort, l’évêché lui décerne la croix du mérite diocésain « pour services rendus à l’enseignement libre » ( 7).
Mieux, lorsqu’il meurt, ses obsèques célébrées à Massat par le chanoine Louyat sont suivies quelque temps après d’une messe dite en son honneur dans la chapelle du lycée Sainte-Marie de Nevers !
Antimilitariste, anarchiste et catholique : c’est peut-être beaucoup pour un seul homme ! Et pourtant ce n’est pas tout. Les accointances religieuses de Galy ne cernent pas tout le personnage. Depuis la fin de la guerre et jusqu’à sa mort, c’est un membre actif et assidu de la Société d’astronomie populaire de Toulouse. Cette société savante fondée en 1910 et dont le
siège se trouve en centre ville, rue Ozenne, possède un observatoire sur une butte dominant la ville, Jolimont. Depuis le début du siècle, les astronomes ont dressé sur le site des lunettes astronomiques très performantes et parmi elles, celle dite de la « carte du ciel » est très prisée
du public. Toutes les semaines, à la nuit tombée, des érudits, des savants, manœuvrent ces appareils gigantesques grâce auxquels ils font découvrir de nouvelles étoiles et expliquent l’univers et ses mystères. Parfois Jean Galy assiste à des démonstrations avec ses collègues.
La pureté du ciel de Toulouse, dans ces années-là, permet de faire mille découvertes ! La Société d’astronomie a aussi d’autres activités. Ainsi Galy se rend-il régulièrement, un jour par semaine, à la faculté des sciences, allées Saint-Michel, dans l’amphithéâtre de
mathématiques. Bien que secrétaire de la Société il ne se contente pas de prendre des notes au cours des exposés ; il donne aussi des conférences dont nous retrouvons la trace dans la collection des bulletins mensuels de la Société d’astronomie populaire de Toulouse. Ses sujets de prédilection portent sur l’astronomie, mais pas seulement. Nous n’en citerons que quelques titres :
– La Lune est-elle habitée (janvier 1946)
– Eureka ou cosmogonie d’Edgard Poe (juin 1949)
– Saturne (novembre 1953)
– Les soucoupes volantes (décembre 1956)
– Gravité et anti-gravité (mars 1959)
Il s’intéresse aussi à « la grande pyramide » au point de publier une brochure où descriptions précises, croquis à l’appui et calculs savants lui permettent de conclure que « Malgré les travaux immenses qu’elle a suscités, la pyramide de Koufou [Khéops] n’a pas encore livré son
secret (8). » Étrange personnage qui, après avoir passé sa semaine sous les auspices de l’Église, après une halte érudite chez les astronomes et de longs débats chez les anarchistes, le dimanche prenait son train pour Massat et retrouvait ses amis bergers.
Notes sur Jean Galy
1. Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, Jean Maitron.
2. Sur Vincent Moulia, voir les pages que lui a consacrées Nicolas Offenstadt, Les fusillés de
la Grande Guerre et la mémoire collective, éditions Odile Jacob, 1999
3 .Gaston Leval, L’enfance en croix, 1963.
L’obligation militaire. Un esclavage sanglant.1930
Vers un monde libertaire. Mes pratiques sur la révolution égalitaire, éditions du Libertaire,
Paris, 1948.
5. AD de la Haute-Garonne. M 969.
6. Juan Gorris, entretien du 5 décembre 2008.
7. Bulletin de la Société populaire d’astrologie, Nécrologie, novembre 1962.
8. La grande pyramide, brochure CIRA, 1954.
JEAN MARIE CLAUSTRES UN AIDE FONDAMENTAL A LA RESISTANCE